PORTRAIT

Yannick Delpech, l’homme pressé

Publié le 14 janvier 2018
Temps de lecture : 4 min
Yannick Delpech
© Alexandre Ollier
Yannick Delpech, l’homme pressé.

Il échappe aux clichés et autres tentatives d’étiquetage. Yannick Delpech est l’outsider des fourneaux, celui qui s’est mis à la cuisine un peu par hasard et qui se délecte autant de régaler les autres que de relever des paris qu’il fait avec lui-même.

Fils de viticulteurs, originaire d’Albi, cet enfant du pays  revendique haut et fort ses origines paysannes et l’attrait de son royaume du sud-ouest. D’ailleurs il n’est jamais parti très loin et y enchaine les succès : en 1997, Yannick Delpech rentre à l’Amphitryon en qualité de chef pâtissier. Quelques mois plus tard suite au départ du chef, il fait l’intérim en cuisine. Il n’en partira jamais. C’est à ce moment qu’il créé son plat emblématique, ce « Caviar des Pyrénées et sardine, crème de morue et condiment raifort » qui lui vaudra à peine un an plus tard, en mars 2000, une première étoile par le Guide Michelin. Il a 24 ans et il est le plus jeune chef étoilé Michelin de France. En 2008 c’est encore le guide rouge qui le récompense d’une seconde étoile, alors que certains chefs de son âge commencent tout juste à émerger. Alors le chef enchaine les services : ouverture de la pâtisserie Sandyan en 2013 puis de Cuisine de rue en 2015 « pour prouver que le snack à 5 euros avec de bons produits, frais et de saison, c’est possible ».  En 2017, La cantine Française à Colomiers ouvre boutique dans un esprit brasserie parisienne. Loin de s’en contenter, un projet lui trotte déjà en tête : il cherche encore le lieu parfait pour accueillir une cuisine d’inspiration japonaise. Mais un autre défi de taille risque de supplanter tous les autres :

« Je veux transformer ma façon de travailler à l’Amphitryon : épurer la carte et travailler en circuit court. La richesse c’est l’agriculture, c’est le type d’à côté, on va chercher trop loin. »

Il planche actuellement sur la constitution d’une équipe de producteurs locaux pour court-circuiter les intermédiaires. 

« Ma vie a 100 à l’heure »

L’homme est un cuisinier hors norme et hors cadres qui a déjà largement fait ses preuves mais c’est aussi et surtout un entrepreneur : « ça m’intéresse autant que la cuisine, j’aime avoir des projets et les voir grandir, j’aime mes équipe, les porter et les voir innover ». Son quotidien laisse songeur : sa journée commence très tôt et fini très tard. Il passe chaque jour dans chacun de ses établissements et n’accorde à la sphère privé que quelques miettes. « J’ai une vie passionnante mais très prenante, c’est ma vie à 100 à l’heure ». Il se définit lui-même comme « un homme insupportable, je ne fais pas attention aux gens : j’avance et rien d’autre ne compte. A 42 ans j’essaie de m’améliorer mais j’ai le caractère d’un cuisinier ». Séparé de la mère de ses enfants il retrouve ses deux garçons tous les 15 jours à Arcachon lors de weekends exclusifs pendant lesquels il accepte pour eux de se couper de tout. A la volée, il offre quelques prochaines étapes de son grand marathon de l’entreprise du gout : un retour désiré dans le Tarn « avec un grand jardin pour offrir à manger ce que je ferai pousser », mais aussi un détour vers le bassin d’Arcachon « car la vie y est plus paisible ». La tv il a déjà donné, deux ans dans master chef, « c’était sympa je ne crache pas dans la soupe mais faire le guignol pour un spectacle sans valeurs ça ne m’intéresse pas, je suis un artisan pas un artiste ». Fairplay lorsqu’il perd une étoile, comme l’année passée, il accepte la remise en cause qui s’ensuit « et la baisse de chiffre d’affaires », et même si les étoiles font office « d’accélérateur dans une carrière », il en condamne l’aspect un peu « hypocrite ». Véritable diamant brut des fourneaux du sud-ouest, tout en contraste Yannick Delpech se révolte autant qu’il déroute. Homme de défis et de provocation il aime à bousculer les codes et avoir un temps d’avance sur les autres. Son atout majeur ? Il sait exactement où il va et tout est prévu au millimètre :

« J’ai mon temps à faire, je m’arrêterai quand je ne m’éclaterais plus, je n’arriverai pas à faire les choses à moitié. D’ailleurs je sais déjà à quelle date je rendrai mon tablier. »