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Rencontre avec Laure Daussy, journaliste à Charlie Hebdo

Publié le 6 mars 2025
Temps de lecture : 3 min
© Aurélien Ferreira/CD31
Laure Daussy lors de son intervention à l'Hôtel du Département le 12 mars 2025.

L'autrice de La Réputation, enquête sur la fabrique des « filles faciles » consacrée sur le meurtre en 2019 de Shaïna, 15 ans, habitante de Creil dans l’Oise, a participé aux Rencontres pour l’égalité les 11 mars à Saint-Jory et le 12 mars à l'Hôtel du Département. Interview. 

Comment avez-vous travaillé sur ce livre ? 

Shaïna a été agressée sexuellement et brûlée vive à l’âge de 15 ans en 2019. Pendant un an, j’ai enquêté dans la ville de Creil en donnant la parole à plusieurs adolescentes de cette ville qui disaient avoir peur de subir le même sort et qui ont témoigné de leur quotidien fait de violences et de sexisme et d’injonctions qui leur étaient faites, à l’école ou dans leurs familles. 


Lors de ces entretiens, quels sont les stéréotypes qui vous ont le plus marquée ?

On attendait d’elles qu’elles soient discrètes, qu’elles ne s’affichent pas dans la rue avec un garçon, beaucoup de choses accessibles à d’autres adolescentes leurs sont interdites, ça m’a semblé être une injustice. Les phénomènes de réputation existent partout mais c’est exacerbé dans certains quartiers du fait d’un phénomène de repli sur soi. À cela s’ajoutent le rôle des réseaux sociaux qui participent à la propagation de la rumeur. Des filles victimes de rumeurs peuvent être d’autant plus méprisées et devenir de potentielles proies.


Que peut-on faire pour changer les choses ? 

L’éducation bien sûr a un rôle important à jouer dans la transmission de valeurs d’égalité. Les acteurs sociaux et les services publics aussi. Dans mon livre, je parle également de séances d’éducation à la vie éducative et sexuelle pour permettre de faire comprendre aux adolescents les notions de consentement, de lutter contre les violences faites aux femmes, de témoigner si elles en sont victimes. 

À propos du livre

C’est l’histoire d’une adolescente qui « a payé du prix de sa vie le fait d’être libre ». En 2019, dans l’Oise, à Creil, Shaïna, 15 ans, meurt, poignardée et brûlée vive par son petit ami lorsqu'il apprend qu’elle est enceinte de lui. Il s’agit d’un des cent quarante-six féminicides recensés en 2019. Quelques années plus tôt, à 13 ans, elle était agressée sexuellement et tabassée pour avoir porté plainte. Une jeune fille devenue le symbole des violences faites aux femmes. 

En revenant sur ce destin tragique, Laure Daussy, journaliste à Charlie Hebdo en charge des questions de société, interroge la situation des femmes dans les quartiers populaires et donne la parole aux habitants de la commune.  

Pour les adolescentes de Creil, résonnent dans leurs voix le poids des rumeurs et la menace de la réputation de fille facile. Un contrôle permanent qui les empêche de vivre librement. Pour les protéger, la justice et les services publics se révèlent trop souvent inadaptés.

« Le drame de Shaïna mérite que l’on s’y attarde, car il révèle les nombreux dysfonctionnements de notre société. Les institutions policières et judiciaires n’ont pas su la protéger. Tout au long de l’instruction pour l’agression sexuelle, sa parole a été remise en cause. Et comme la justice a fonctionné lentement pour juger cette affaire, un sentiment d’impunité a pu circuler dans la cité, jusqu’à aboutir à son meurtre », écrit Laure Daussy. Et de poursuivre : « L’histoire de Shaïna n’est pas un fait divers, mais un fait de société. Une société qui a laissé prospérer ce système de réputations, dans lequel une adolescente est méprisée, qualifiée de « fille facile », dès lors qu’elle est libre, ou même, pire, dès lors qu’elle est victime d’une agression sexuelle. » 

À une époque où les combats féministes prennent de plus en plus d'ampleur, pourquoi ne sont-ils pas parvenus jusqu'à ces jeunes femmes ? Si le sexisme est partout, il y a des endroits en France où le quotidien des adolescentes relève de l'urgence.