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« La communauté internationale doit prendre à bras le corps la question de la lutte contre les génocides »

Publié le 20 avril 2021
Temps de lecture : 3 min
Génocide Arménien Fonds Jean Calbabian
© Aurélien Ferreira
Ce sont environ 1,2 million de personnes qui ont péri lors du génocide arménien entre 1915 et 1916.

Pour l’historien Vincent Duclert, président de la commission d’enquête sur le Rwanda, nos sociétés demeurent incapables d’empêcher ou de stopper des génocides, d’où la nécessité de les « réarmer intellectuellement ». Il participera à la table-ronde « Mémoires des génocides du XXe siècle », le 24 avril à 19h, en direct du Pavillon République. 

L’histoire abonde en récits de massacres de masse, mais le XXe siècle a vu se multiplier un crime d’une dimension nouvelle : le génocide. Qu’est-ce qui le définit ? 

A la fin du XIXe, on est en effet passé des assassinats de masse spontanés, réagissant à des situations politiques et sociales, à une intention méthodique, planifiée, organisée, d’élimination d’une population. Lors de la vague de massacres des Arméniens de l’Empire ottoman, entre 1894 et 1896, ce ne sont plus essentiellement des hommes qui sont éliminés, mais des familles entières. 200 000 personnes au total. Jean Jaurès, dans un grand discours prononcé à l’Assemblée nationale en 1896, disait qu’une « guerre d’extermination » avait commencé. Un génocide, c’est précisément une volonté d’extermination d’une population.

Vincent Duclert
© Jean Eckian
Vincent Duclert

Les mécanismes à l’œuvre sont-ils toujours les mêmes ? 

On retrouve plusieurs éléments communs, en effet : un pouvoir tyrannique de nature totalitaire, une militarisation de la société et l’identification d’un groupe à détruire qui représenterait une menace pour la « race » majoritaire. Il y a ensuite un processus de déshumanisation de ce groupe cible aux moyens d’une propagande qui animalise, qui lui retire ses caractéristiques d’humanité. Puis l’organisation de l’extermination avec, pour le cas arménien ou rwandais, la mobilisation des forces armées de l’Etat, de ses administrations civiles, des milices et des voisins qui vont s’acharner sur le groupe cible. 

Agir au nom du « droit des gens »

Il ne s’agit donc pas d’une explosion soudaine de violence mais d’un long processus qui s’appuie lui-même sur des mécanismes connus. Il serait donc possible de l’éviter ? 

Oui, une volonté internationale peut arrêter un génocide en intervenant au nom du « droit des gens », un principe universel selon lequel chaque Nation est fondée à agir pour défendre l’humanité des populations quelles qu’elles soient. Il existe d’ailleurs un outil pour cela : la Convention pour la prévention et la répression du génocide de 1948. Mais ce traité international est mal connu. Le rapport de la Commission de recherche sur les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide des Tutsi, que j’ai présidée, montre à quel point il était largement ignoré par les diplomates.


Dans ce rapport, remis en mars à Emmanuel Macron et qui pointe des « responsabilités lourdes et accablantes » de la France au Rwanda, vous formulez un certain nombre de recommandations…

Cela a été une terrible faute de la France de ne pas avoir été capable de penser que, 50 ans après la Shoah, un nouveau génocide était possible et d’avoir systématiquement écarté les analyses divergentes sur le Rwanda. La France n’a pas compris ce génocide. Aujourd'hui, il est donc essentiel de réarmer intellectuellement les Nations, pour leur permettre de tirer les leçons du passé et agir à l'avenir pour éviter le pire. Nous recommandons ainsi la création d’un centre international de ressources sur les génocides et les crimes de masse, la réalisation d’une recherche collective sur la prévention et la répression du crime de génocide de la fin du XIXe siècle et la création d’un réseau d’alerte documentaire sur les risques génocidaires dans le monde. Il est urgent que la communauté internationale prenne à bras le corps cette immense question de la lutte contre les génocides. 

Le génocide des Arméniens