Depuis votre thèse en 1968, vous travaillez sur les questions de réchauffement climatique. Diriez-vous que vous avez été un lanceur d’alerte avant l’heure ?
Lorsqu’on a assisté, comme moi, à la montée en puissances des problèmes environnementaux, on ne peut pas ne pas témoigner. Dès les années 80, en étudiant le contenu isotopique des carottes de glace prélevées en Antarctique et au Groenland, nous avons pu reconstituer les évolutions passées du climat et établir un lien avec les gaz à effet de serre. Et, en partant de ces données du passé, nous avons pu déterminer les évolutions futures. A l’époque, nous envisagions déjà un réchauffement au milieu du XXIe siècle, se traduisant notamment par des extrêmes climatiques (sécheresse, inondations, cyclones…) plus intenses et plus nombreux. Mais nous n’avons pas été pris au sérieux. Nous nous sommes alors dit que les gens ne prendraient conscience du réchauffement que lorsque ces changements seraient perceptibles. Personnellement, j’avais parié sur 2030… Nous y sommes presque. Quel temps perdu ! C’est la raison pour laquelle il faut prendre au sérieux les projections actuelles des spécialistes du climat : ils avaient déjà vu juste il y a 30 ans !
Selon le dernier rapport de l’IPBES (groupe d’experts de l’ONU sur la biodiversité), un million d’espèces sont menacées d’extinction, dont une grande partie dans les prochaines décennies. Quel rôle va jouer le réchauffement climatique dans cette érosion accélérée de la biodiversité ?
Si le réchauffement climatique n’est pas maîtrisé, il va exacerber la perte de biodiversité.
Quand certains experts évoquent aujourd’hui la possibilité d’une sixième extinction de masse (la dernière, qui a rayé de la carte des espèces entières dont celles des dinosaures, a eu lieu il y a 65 millions de l’année, ndlr), ils ne prennent même pas en compte le réchauffement climatique, qui est pourtant aujourd’hui la 3e cause de la perte de biodiversité et pourrait devenir rapidement, si l’on n’y fait pas attention, la première !
On sait par exemple qu’au-delà de 2° de réchauffement, l’ensemble des récifs coraliens tropicaux et équatoriaux, qui sont de véritables mines de biodiversité, vont être sérieusement affectés.
Quelles vont être selon vous les conséquences pour les êtres humains ?
Je n’aime pas parler d’effondrement. Mais si on ne change rien, on ne pourra pas espérer un développement harmonieux de nos civilisations. Celles-ci vont être sérieusement mises à mal. L’être humain a certes une capacité d’adaptation, mais il ne faut pas jouer avec. Il y a des conditions de températures et d’humidité au-delà desquelles on ne pourra plus vivre normalement dans certaines régions du monde (en Chine, notamment). Il est donc extrêmement important de tout mettre en œuvre pour rester autour de 1,5°-2° maximum de réchauffement.
À qui doit-on s’en remettre aujourd’hui pour espérer rester sous ce seuil ?
Nos sociétés sont appelées à changer. Pour parvenir à la neutralité carbone en 2050, il faut un profond changement de mode de développement. C’est l’affaire de tous, à tous les niveaux. La solution ne pourra pas être uniquement technologique, les innovations sociales et sociétales seront aussi essentielles. Par ailleurs beaucoup de décisions vont devoir être prises à l’échelle des territoires. Collectivités, associations, entreprises, acteurs de l’éducation, mais aussi chacun en tant qu’individu, nous avons tous notre rôle à jouer.