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« Contre l’intégrisme, choisissons la respiration laïque » Conférence-débat avec Catherine Kintzler

Publié le 22 novembre 2023
Temps de lecture : 8 min
© Aurélien Ferreira / CD31

Ancien professeur de philosophie, Catherine Kintzler fait également partie du Conseil des sages de la laïcité et des valeurs de la République. Auteur de plusieurs essais, dont le dernier Penser la laïcité, elle est intervenue au Conseil départemental lors d’une conférence-débat dans le cadre des Rencontres de la laïcité. Podcast de la soirée et interviews.

La conférence que vous avez présentée aux Haut-Garonnaises et Haut-garonnais s’intitulait « Laïcité, radicalité, intégrisme ». Pourquoi avoir associé ces trois termes ?

CK - La laïcité a été ébranlée, mais aussi réveillée, par les « radicalisations » dogmatiques religieuses qui prétendent faire la loi et s’imposer dans tous les secteurs de la vie, non seulement privée mais aussi civile et publique. Il fallait sortir des évidences fragiles pour penser la laïcité radicalement, c'est à dire jusqu’à sa racine. Dans cette conférence, je parcours quelques éléments de la réflexion que j’ai proposée en ce sens et je tente de montrer, notamment avec le concept de respiration laïque, que la laïcité est exactement le contraire d’un intégrisme.

Vous avez d'ailleurs écrit un article dans Le Monde, en 2019, intitulé : « Contre l’intégrisme, choisissons la respiration laïque ». Pourriez-vous résumer ce concept ?

CK - Le régime de laïcité marche sur deux jambes. D’un côté, ce qui participe de l'autorité publique s’abstient de toute manifestation, caution ou reconnaissance en matière de cultes, de croyances et d’incroyances, et réciproquement se protège de toute intrusion des cultes – c’est le principe de laïcité au sens strict. De l’autre, partout ailleurs y compris en public, la liberté d’expression s’exerce dans le cadre du droit commun. Cette dualité installe une alternance : la respiration laïque. Par exemple, l’élève qui enlève ses signes religieux en entrant à l’école publique les remet en sortant : il passe d’un espace à l’autre, échappant par là aussi bien à la pression sociale de son milieu qu’à une uniformisation d’État. La laïcité est donc le contraire d’un intégrisme qui envahirait constamment tous les secteurs de la vie.

Philosophe, vous vous engagez pour la première fois en co-signant un appel dans le Nouvel Obs du 2 novembre 1989, intitulé : « Profs, ne capitulons pas ! ». Quel regard portez-vous sur l'école, aujourd'hui ?

CK – La politique scolaire menée durant les 40 dernières années porte une grande responsabilité dans l’abandon de la laïcité. Au lieu d’offrir aux élèves le luxe d’une double vie, un espace « respirant », serein et protégé où chacun est accueilli, non pas en fonction de ses déterminations sociales, mais pour lui-même, le brouillage entre les établissements scolaires et leur environnement a été la règle. L’école est sommée de s’adapter aux demandes sociales et aux exigences du marché, les élèves et les parents se sentent autorisés à désavouer les professeurs qui sont de plus en plus exposés (c’est le moins qu’on puisse dire). Ce renvoi constant à l’extérieur marginalise la mission première de l’école, qui est d’instruire, de mettre les esprits debout. Remettre la mission d’instruction au centre de l’école, en lui consacrant l’essentiel du temps scolaire et en restaurant l’autorité des professeurs, me semble être une mesure de bon sens. C’est aussi une urgence laïque.

Dans cette lettre, il est rappelé que « La laïcité est et demeure par principe une bataille, comme le sont l’école publique, la République et la liberté elle-même ». Vous-même avez publié trois ouvrages sur le sujet, entre 1998 et 2015. Quel constat faites-vous, 30 ans plus tard ?

CK - De nombreux « grignotages » des dispositions laïques (notamment en matière de financement des cultes) se succèdent depuis longtemps, et tentent d’acclimater – sinon d’installer - en France un modèle anglo-saxon qui reconnaît les communautés et qui promeut l’interconvictionnel. Or l’échec de ce modèle est patent, quand on pense aux récentes manifestations de Londres, de Berlin, de Sydney, où l’antisémitisme s’affiche violemment. Une association politique laïque n’est pas un ensemble de communautés, elle construit le lien politique sans référence à un ou des liens préalables (religieux, ethnique, coutumier). Grâce à cela, le régime laïque peut accueillir dans la société civile toutes les positions compatibles avec le droit commun ; les communautés peuvent jouir d’une existence juridique grâce à la législation sur les associations, mais elles n’ont aucune efficience politique, elles ne peuvent pas exiger des traitements différenciés. Les droits des individus sont prioritaires : il n’y a en régime laïque, ni obligation, ni présomption d’appartenance ; personne n’est assigné à un groupe qui prétendrait lui imposer un mode de vie ; réciproquement, personne n’est tenu de renier une appartenance, pourvu que le droit commun soit respecté. Ce modèle laïque, libérateur, est plus que jamais à l’ordre du jour.